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Plus de 10 ans qu’on en parle… Après moult tergiversations et rebondissements, le décret tertiaire est enfin en passe de devenir une réalité avec la publication récente de son principal arrêté d’application.

Tellement de fois annoncé (Loi Grenelle 2 de juillet 2010, Loi de Transition Énergétique du 18 août 2015) et tellement de fois annulé ou reporté. D’aucuns avaient fini par penser qu’il ne verrait jamais le jour. Force est de constater que non. Cette fois-ci, à moins d’un revirement de dernière minute, il s’appliquera vraiment. Preuve surement que les esprits et les professionnels sont maintenant prêts à assumer une ambitieuse politique de sobriété énergétique. 

Peut-être est-ce là une illustration concrète du « monde d’après », que de plus en plus appellent de leurs vœux en cette période post-covid ? L’avenir nous dira comment le marché s’appropriera cette nouvelle réglementation. Et quel impact cela aura sur la nécessaire et urgente décarbonation du secteur immobilier. 

J’ai pour ma part le sentiment que nous avons là (enfin !) une « réglementation verte » à la fois ambitieuse dans ses objectifs et vertueuse dans sa mise en œuvre.
Ambitieuse, puisqu’il s’agit de réduire les consommations énergétiques des bâtiments tertiaires de 40% en 10 ans. Et de 60% en 30 ans. 
Vertueuse, car en contraignant les bailleurs et preneurs à suivre précisément leurs consommations énergétiques réelles, et à mettre en œuvre des actions concrètes pour les réduire, le législateur se donne vraiment les moyens de lutter contre le « Greenwashing ».

 

Les objectifs du décret tertiaire

L’objectif du législateur est simple : réduire les consommations énergétiques finales pour réduire les émissions de CO2. C’est le volant « sobriété » de la transition énergétique.

Le secteur du bâtiment consomme en effet chaque année 755 TWh. Cela fait de lui le premier secteur consommateur d’énergie, devant les transports et l’industrie. Il constitue donc un des axes majeurs de la politique publique de réduction des consommations énergétiques. 

 Source : Programmation Pluriannuelle Énergétique 2020

 Au sein du secteur du bâtiment, le Tertiaire (bureaux, commerce, entrepôt, santé, etc.) représente un gros tiers des consommations. Soit 280 TWh environ.

Sur le milliard de m² que représente le tertiaire, 2/3 sont détenus par les acteurs privés et 1/3 par les acteurs publics.

Pour tous les propriétaires ou utilisateurs de locaux tertiaires d’une surface supérieure à 1000 m², le décret tertiaire fixe un objectif de réduction des consommations énergétiques finales de : 

  • 40% d’ici 2030
  • 50% d’ici 2040
  • 60% d’ici 2050 

La mise en oeuvre du décret tertiaire

Pour « contraindre » les acteurs à atteindre cet objectif ambitieux, le législateur a imaginé un dispositif original basé sur : 

  1. la collecte, le contrôle et le suivi des consommations énergétiques finales ;
  2. l’obligation de mettre en œuvre des plans d’action pour réduire les consommations et la justification de ces plans d’action ;
  3. l’attribution d’une notation « Eco Energie Tertiaire » permettant de mesurer l’avancement du bâtiment par rapport à l’objectif ;
  4. une sanction « Name & Shame » (en plus d’une sanction financière) pour les acteurs qui ne joueraient pas le jeu. 

1. La collecte, le contrôle et le suivi des consommations énergétiques

A partir de 2021, tous les propriétaires ou utilisateurs de locaux tertiaires de plus de 1000 m² devront fournir à l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) le détail de leurs consommations énergétiques. La première année saisie sera 2020. Les données énergétiques seront collectées sur une plate-forme informatique dénommée OPERAT (Observatoire de la Performance Énergétique, de la Rénovation et des Actions du Tertiaire). 

Ce dispositif central constitue, je pense, une avancée importante vers une ébauche de « comptabilité carbone » homogène et structurée.

 2. Les plans d’action de réduction des consommations énergétiques

A moins de justifier de contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales qui limitent ou empêchent les actions, les assujettis auront l’obligation de mettre en œuvre des actions d’amélioration de l’efficacité énergétique permettant d’atteindre les objectifs fixés.

Le coût prohibitif desdites actions ne pourra permettre une modulation des objectifs que si l’assujetti démontre que le retour sur investissement (ROI) est supérieur à :

  • 30 ans pour les actions de rénovations de l’enveloppe des bâtiments ;
  • 15 ans pour les travaux de renouvellement des équipements ;
  •  6 ans pour les actions de mise en place de systèmes d’optimisation des équipements

 3. La notation « Eco Energie Tertiaire » 

Une notation attribuée automatiquement par la plateforme OPERAT permettra d’apprécier annuellement le degré d’avancement du bâtiment par rapport à ses objectifs.

La notation « Eco Energie Tertiaire » sera illustrée par des feuilles d’arbre colorées (gris pour les mauvais élèves, vert pour les bons).

Gageons que cette notation constituera un nouvel élément d’appréciation pour les futurs locataires et acheteurs de bâtiments tertiaires ;  ils pourront ainsi juger de l’avancement du bâtiment dans sa trajectoire de réduction des consommations énergétiques.
Il y a fort à parier que les attestations annuelles OPERAT, accompagnées des dossiers techniques justifiant les mesures prises, feront bientôt parties des éléments regardés de près dans les data room des immeubles lors des transactions.

 4. Les sanctions prévues

Si la sanction financière prévue par le législateur semble peu incitative (7 500 € par entité juridique pour les personnes morales), le dispositif « Name & Shame » devrait quoi qu’il en soit assurer l’efficacité de la réglementation.

En effet, en cas de manquement à ses obligations de transmission des informations, de non respects de ses objectifs ou de non mise en oeuvre de plans d’action, le nom de l’assujetti qui ne se serait pas acquitté de ses obligations sera publié sur un site de l’état.

Le législateur table ainsi sur la non-acceptabilité croissante de l’opinion vis à vis de comportements qui ne seraient pas « vertueux » en matière d’environnement.

L’avenir nous dira si cette nouvelle réglementation marquera un tournant dans la transition environnementale du secteur immobilier tertiaire. D’une façon ou d’une autre, il faudra bien trouver le moyen de réduire l’empreinte environnementale du secteur immobilier. Alors pourquoi ne pas se saisir de cette occasion ? Gageons que les événements que nous venons de vivre participeront également à une prise de conscience collective de l’urgence à agir.

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